« Bonjour cher soldat parti sur le front. (…) Je ne sais pas qui va recevoir ce courrier : je m’adresse à tous les guerriers de l’armée russe qui participent à l’opération spéciale. Je ne peux que deviner combien tu as peur et combien c’est dur en ce moment. Il est difficile de réaliser que c’est vous seuls qui devez libérer le monde du fascisme. Vous êtes courageux, vous êtes forts, la vie paisible des peuples slaves dépend de vous. Faites attention à vous et soyez prudents. Je vous souhaite de rester en vie et de revenir à vos familles. N’oublie pas : la Russie gagne toujours, les Russes gagnent toujours. Nous sommes invincibles. Merci pour votre engagement pour la patrie. Salut soldat, bonne chance. »
Evgenia V. est une lycéenne russe de « dixième », la classe des élèves de 16 ans. Sur sa feuille blanche, dans une calligraphie soignée, elle a décoré sa signature d’une étoile rouge, celle de l’armée soviétique lors de la seconde guerre mondiale. Elle a aussi dessiné un « Z », cette lettre de l’alphabet latin inscrite depuis l’invasion de l’Ukraine sur les blindés russes, et devenue en Russie un signe de soutien à l’opération militaire décidée par le Kremlin. Evgenia a peint ce « Z » aux couleurs du ruban de Saint-Georges (trois bandes noires, deux bandes orange), symbole de la victoire de l’Armée rouge sur l’Allemagne nazie devenu celui du patriotisme prôné par Vladimir Poutine.
Quand nous l’avons trouvée, le 9 décembre, la lettre d’Evgenia gisait avec une bonne centaine d’autres au milieu de bouteilles de vodka vides, de tubes de dentifrice et d’oreillers détrempés dans une ex-antenne de police ukrainienne à l’entrée d’Izioum, petite ville située à 175 kilomètres de la frontière russe. Le bâtiment a été occupé entre mars et août par les forces russes, avant d’être bombardé par les Ukrainiens, qui ont fini par reprendre la ville, le 11 septembre. Protégés de la pluie et de la neige par un morceau de toit intact, ces courriers abandonnés dans la déroute sont restés éparpillés sans trop de dommages. Ciels bleus « sans avions », cœurs roses, tanks ou fusils kaki… Les dessins faisaient d’étranges taches de couleurs vives dans la grisaille des gravats et de l’hiver.
Les envois se poursuivent

« Cher soldat »… « Salut les guerriers »… « Bonjour soldat inconnu »… « Chers héros »… « Bonjour gardien des vies paisibles »… « Cher protecteur de notre patrie »… Toutes ces lettres, ou presque, commencent ainsi. Souvent écrites d’une salle de classe, sous le contrôle des enseignants, elles ont été acheminées vers le front au gré des convois militaires et des mobilisations. La plupart de celles retrouvées à Izioum proviennent de Voronej, dans l’ouest de la Russie, mais aussi de la région de Smolensk, voire de Saint-Pétersbourg ou d’une « crèche de Moscou ». Certaines ont transité par des camps militaires, comme le « centre de recrutement de l’armée 102, avenue Slavy [“avenue de la gloire”] » de Belgorod, à 30 kilomètres de la frontière ukrainienne.
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lien source : « Bonjour cher soldat » : ces lettres écrites par des enfants russes qui témoignent de la propagande de Moscou