Michal Raz, sociologue, à l'EHESS, à Paris, le 25 novembre 2022. Michal Raz, sociologue, à l'EHESS, à Paris, le 25 novembre 2022.

Autrice d’une thèse en sociologie à l’Ecole des hautes études en sciences sociales en 2019 sur la prise en charge médicale des enfants intersexes, Michal Raz revient sur la fabrication contemporaine de la binarité sexuelle et sur son impact dans les interventions médicales précoces subies par ces enfants sans leur consentement. L’arrêté de bonnes pratiques du 15 novembre 2022 pris en application de la loi de bioéthique de 2021 interdit en principe les interventions de conformation sexuée sur les enfants intersexes, ceux dont le corps ne correspond pas à la définition classique du masculin et du féminin.

La législation récente concernant les enfants intersexes va-t-elle dans le bon sens ?

Le contenu de l’article 30 de la nouvelle loi de bioéthique part d’une bonne intention pour modifier les pratiques mais reste dans un paradigme pathologisant : les variations intersexes sont des « maladies rares » qu’il faut « prendre en charge ». Les médecins ont été formés avec une approche normative des corps et, pour eux, l’existence des personnes intersexes ne remet pas en cause la binarité sexuelle. Elle est un postulat alors que c’est la conséquence d’un processus d’intervention sur le corps qui maintient l’illusion de cette binarité supposée.

Cette notion de différence biologique incontestable entre les hommes et les femmes a-t-elle toujours existé ?

Difficile à dire. Avant la modernité européenne, la théorie des humeurs prédomine. Elaborée par le médecin grec de l’Antiquité Claude Galien (Ier siècle après J.-C.), elle affirme une sorte de continuum entre le féminin – froid, humide mais aussi inférieur et malade – et le masculin – chaud, sec et plus abouti. L’historien américain Thomas Laqueur a montré, dans son ouvrage La Fabrique du sexe (1990, édition française chez Gallimard en 1992), que, durant cette période, la distinction physique ne relève pas forcément d’une binarité exclusive ancrée dans la biologie. La médecine n’exerce pas encore d’autorité en la matière et une grande hétérogénéité de positions émerge.

Plus tard, au XVIe siècle, les planches d’anatomie du médecin belge André Vésale (1514-1564) représentent les vagins comme des pénis inversés. A la même époque, le chirurgien Ambroise Paré décrit le cas d’une femme dont les organes masculins seraient « ressortis » par excès de chaleur et à la suite d’une chute brutale. On peut imaginer que c’est un cas d’intersexuation, appelée à l’époque « hermaphrodisme », terme considéré aujourd’hui comme stigmatisant.

Comment émerge alors cette dualité ?

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lien source : Enfants intersexes : « A partir du XXe siècle, la médecine est devenue la police du genre »