Début décembre 1973 au petit matin, le téléphone sonne chez Marcel Boiteux, le directeur général d’EDF. Au bout du fil, le secrétaire général de l’énergie au ministère de l’industrie, Jean Couture. « Quel est le nombre maximal de tranches nucléaires qu’EDF et ses fournisseurs seraient capables d’engager chaque année, si un programme pluriannuel ambitieux était décidé par le gouvernement ? », lui demande-t-il, en concluant : « Réponse avant midi. » Marcel Boiteux consulte son industriel, Framatome, puis répond : « Pas plus de six ou sept. » Jean Couture rappelle quelques jours plus tard : « Attendez-vous à ce que le programme gouvernemental soit de cet ordre-là. Informez le conseil d’administration d’EDF. Commencez à vous organiser discrètement. »

Ainsi était lancé en quelques échanges téléphoniques le plus grand programme d’investissement nucléaire civil jamais conçu au monde, comme le raconte Jean Bergougnoux, ancien directeur général d’EDF, dans un hommage rendu à Marcel Boiteux en juin 2022 à l’occasion des 100 ans du plus célèbre patron d’EDF, resté vingt ans aux commandes de l’entreprise.

Les choses semblaient bien faciles à cette époque si on les compare au chemin de croix qu’endure aujourd’hui l’électricien français. Certes, il a enfin obtenu en 2022, après des années de lutte, la possibilité de construire six nouveaux réacteurs, mais ils ne seront en activité que dans quinze ans, au plus tôt. Pas vraiment le même rythme. Et puis, au moment où l’Europe entière manque d’électricité, avec les coupures de gaz imposées par la Russie, et que le nucléaire revient en grâce dans le monde, il est en train de vivre la pire année de son existence. Et ce n’est pas fini. Aux déboires sans fin du seul réacteur encore en construction, l’EPR de Flamanville, il subit en avalanche les arrêts pour maintenance et un mystérieux mal qui ronge les tuyauteries de ses plus belles centrales. Au total, presque la moitié du parc a été immobilisée à un moment de l’année et 16 réacteurs (sur 56) manquent encore à l’appel.

Jamais EDF n’a aussi peu produit

Jamais EDF n’a aussi peu produit. Un désastre aux proportions de tout un continent qui s’était habitué à ce que le français soit le premier exportateur de cette précieuse ressource. L’électricien a prévenu samedi 17 décembre que de nouvelles fermetures de site interviendront durant le premier semestre 2023. Elles s’ajouteront à celles déjà programmées pour la maintenance. Et, humiliation suprême, la corrosion responsable désormais de la majorité des arrêts n’a rien à voir avec les atermoiements des politiques ni avec la pandémie, mais… avec les compétences d’EDF. Les vieux modèles, copie conforme des réacteurs de l’américain Westinghouse, tournent comme des horloges, tandis que ceux « améliorés » plus tard par EDF voient leurs canalisations attaquées par des microfissures inacceptables pour l’Autorité de sûreté nucléaire.

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lien source : Grandeur et décadence du nucléaire en France