Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation à l’Institut de recherche en éducation (Iredu) de l’université de Bourgogne, Géraldine Farges travaille sur les trajectoires professionnelles des enseignants, leurs identités et leurs statuts.

Beaucoup d’enseignants expriment une perte de sens par rapport à leur métier. Comment l’analysez-vous ?

Ce sentiment de perte de sens, très fort, est renforcé par un décalage entre les attentes du ministère de l’éducation nationale et la réalité du métier que les enseignants vivent au quotidien au sein de leurs classes. Un décalage entre le travail réel et le travail prescrit, peut-on dire. Exemple : les programmes scolaires. Leurs réformes sont fréquentes. Les enseignants doivent se conformer aux nouveaux programmes, mais certains ne suivent pas ces évolutions ou a minima parce qu’ils ne croient pas en leur efficacité ni en leur bien-fondé, comme si ces changements étaient déconnectés d’un réel, celui de la classe, sur lequel les enseignants ont une prise, une connaissance très forte, intime presque, de ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Les attentes vis-à-vis du métier sont-elles les mêmes pour tous les enseignants ?

Non. Il n’y a pas un monde enseignant mais des mondes enseignants, comme je le disais dans mon ouvrage de 2017 [Les Mondes enseignants. Identités et clivages, Presses universitaires de France], et une identité éclatée depuis toujours. Les professeurs qui arrivent dans le métier après une première carrière professionnelle ailleurs et qui sont aujourd’hui de plus en plus nombreux [15 % des admis au concours dans le premier degré en 2021 et 8 % dans les collèges et les lycées – avec des variations fortes selon les concours] n’ont pas les mêmes aspirations, par exemple, que ceux directement issus d’un master. La manière dont ils valorisent le métier est en moyenne un peu plus faible, comme s’ils avaient une moins haute idée de la profession qu’ils rejoignent.

Beaucoup d’enseignants disent que le métier s’est complexifié. Arrive-t-on à l’expliquer ?

Les enseignants ont longtemps été recrutés sur la base de leur qualification : ils avaient un diplôme, un concours et ensuite l’Etat leur faisait confiance pour instruire les élèves et mettre en place telle ou telle pédagogie. Les formes de contrôle directes étaient peu fréquentes, l’obligation de s’inscrire dans une logique d’établissement n’était pas particulièrement demandée. La liberté et l’autonomie professionnelle étaient fortes.

Ce paradigme change depuis une trentaine d’années environ, avec l’introduction d’une logique de compétences. L’aboutissement en est la publication de référentiels de compétences en 2013 mais aussi depuis 2017 une logique d’évaluation des carrières et une évaluation renforcée de ce qui est fait en classe et des performances scolaires des élèves.

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lien source : « Le système éducatif français se rapproche d’un modèle où l’enseignant est vu comme un technicien »