
La démocratie brésilienne n’est pas près d’oublier la journée du dimanche 8 janvier. Les événements se sont déroulés en plein centre de la capitale fédérale, Brasilia, en début d’après-midi. Des milliers de manifestants pro-Bolsonaro, contestant la défaite de leur leader à l’élection présidentielle d’octobre face à Lula, ont déferlé sur la place des Trois-Pouvoirs, où se concentrent les principales institutions du pays (Congrès, palais présidentiel et Cour suprême) avant de les envahir. Après trois heures de saccage des lieux et de leurs trésors patrimoniaux, ils ont été évacués par les forces de l’ordre et, pour plus de trois cents d’entre eux, arrêtés.
Selon Armelle Enders, professeure à l’université Paris-VIII et spécialiste de l’histoire contemporaine du Brésil, cette tentative d’insurrection est le résultat d’un climat politique « polarisé et violent » entretenu par une frange radicale des soutiens de Jair Bolsonaro depuis sa défaite à la présidentielle. La chercheuse estime toutefois qu’à travers cet épisode « les institutions du pays, bien que fragilisées, ont démontré leur résistance », mais que « la question qui va se poser dans les prochaines heures et prochains jours est celle de la loyauté des forces de l’ordre vis-à-vis du régime démocratique ».
Comment interprétez-vous les événements qui se sont déroulés dimanche, place des Trois-Pouvoirs, à Brasilia ?
Armelle Enders : Il est clair que le Brésil a connu dimanche une tentative de coup d’Etat et qu’il ne s’agit pas d’une simple manifestation qui aurait dégénéré de manière spontanée. Mais les événements ne surprennent malheureusement pas, au vu de l’état délétère, polarisé et violent du climat politique au Brésil depuis la défaite de Jair Bolsonaro à l’élection présidentielle face à Lula, que ses partisans et lui-même ont entretenu.
Depuis le 30 octobre [jour du second tour de l’élection présidentielle et de la victoire du leader de la gauche], l’extrême droite brésilienne demande à l’armée d’intervenir afin d’empêcher Lula d’accéder au pouvoir, avec des partisans siégeant jour et nuit devant des casernes et des installations militaires à travers le pays pour obtenir une réponse.
Mais puisqu’ils ne sont pas parvenus à empêcher l’investiture du leader du parti travailliste, qui a eu lieu le 1er janvier, les partisans de Jair Bolsonaro tentent maintenant de faire intervenir l’armée en provoquant le chaos. C’était précisément le but de cette invasion concomitante du Congrès, du Planalto [palais présidentiel] et de la Cour suprême, comme c’était celui du projet d’attentat contre Lula fomenté par un partisan de M. Bolsonaro, qui a été déjoué quelques jours avant son investiture.
Dans quelle mesure la démocratie brésilienne, qui a revu le jour il y a presque quarante ans sur les décombres de la dictature militaire, a-t-elle été mise en péril par cette tentative d’insurrection ?
En s’en prenant aux foyers de la démocratie brésilienne et en les ravageant de l’intérieur, les partisans de Jair Bolsonaro ont montré à quel point leur mouvement était par nature antidémocratique et ils ont mis en pratique leurs menaces. Si la contestation démocratique existait déjà au Brésil avant l’ère Bolsonaro, elle s’est, de fait, creusée de manière abyssale durant sa présidence, en raison de sa pratique du pouvoir et du discrédit jeté en permanence sur les contre-pouvoirs.
Reste qu’on ne sait pas aujourd’hui quelle part de ses soutiens continue de contester l’élection de Lula après son investiture et encore moins combien parmi eux soutiennent l’invasion des institutions qui a eu lieu. En raison du chaos et de la brutalité suscités, le passage à la violence de dimanche va peut-être, par effet contraire, servir à asseoir la légitimité du gouvernement de Lula chez certains électeurs plus modérés de Jair Bolsonaro, quand il risque de convaincre les plus extrêmes.
Quoi qu’il en soit, face à ce péril qui a menacé la démocratie brésilienne, les institutions du pays, bien que fragilisées, ont démontré leur résistance. Elles ont repris la main sur les événements dimanche, après avoir tenu tout au long du mandat de Jair Bolsonaro malgré leur déstabilisation ou encore durant la campagne et l’élection présidentielle, tout comme le jour de l’investiture de Lula.
Les chances d’un coup d’Etat au Brésil sont donc minces, selon moi, car il faudrait à la fois un soutien populaire massif et un soutien militaire, deux conditions qui ne sont pour l’instant pas réunies. La majorité de la classe politique brésilienne, y compris dans ses composantes les plus opposées à Lula, ne souhaite pas revivre une fuite en avant du régime.
Au moment de l’invasion des institutions, des membres de la police fédérale de Brasilia présents sur la place des Trois-Pouvoirs ont été filmés en train de prendre des photos ou de discuter avec des manifestants. Quel rôle jouent les forces armées dans ce climat de fortes tensions et de menaces politiques ?
Jusqu’ici, l’armée n’a pas cédé aux appels des bolsonaristes pour renverser le nouveau président élu. Mais elle n’a pas non plus rompu avec le flou qui entoure sa relation avec M. Bolsonaro et son possible soutien actuel à l’ancien chef de l’Etat, dont elle a été très proche, malgré des liens abîmés au fil de son mandat. La question qui va se poser dans les prochaines heures et prochains jours est donc celle de la loyauté des forces de l’ordre vis-à-vis du régime démocratique.

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lien source : Tentative d’insurrection au Brésil : « Les partisans de Jair Bolsonaro provoquent le chaos pour faire intervenir l’armée »