En cette fin d’après-midi, à Ornaisons (Aude), les participants à la retraite tournoient ou jouent du tambourin dans une joie et un abandon partagés par tous. Un large sourire éclaire le visage de Rana Gorgani, l’organisatrice, alors qu’elle cesse lentement de tournoyer pour s’asseoir à côté du joueur de luth. « Tu pleures ? », lance-t-elle en voyant Yosra en train d’écraser une larme d’émotion. Satisfaite, Rana lance : « C’est ça le hâl ! », c’est-à-dire cet « état », pour les uns un moment d’extase, pour d’autres une plénitude partagée, pendant lequel musiciens et danseurs sont tous transportés par la musique et la danse.

Dans cet éco-lieu en rase campagne, sorte de gîte de luxe loué pour l’occasion, les neuf retraitants venus de toute la France apprennent, pendant deux jours et demi, le pas de danse des derviches tourneurs. Cet ordre soufi (courant mystique de l’islam), fondé au XIIIᵉ siècle par le poète persan Rûmî, assied en effet sa spiritualité sur une pratique consistant à tournoyer sur soi-même jusqu’à atteindre, pour certains danseurs, une forme de transe vécue comme une expérience mystique. Devenue célèbre, cette pratique a aujourd’hui traversé les frontières et attire des adeptes bien au-delà du soufisme et de l’islam.

Découvrir « la dimension sacrée du corps »

Ici, à Ornaisons, entre deux séances de danse, une initiation au daf, large tambourin iranien, permet à chacun de s’imprégner du rythme et de la musique soufis. Le thème de ce séjour est « l’Amour ». Après un repas végétarien servi en silence, Abdoul Wane, 32 ans, infirmier en psychiatrie et addictologie à Paris, explique sa présence ce week-end. Preuve de l’universalité de la danse des derviches, il est l’unique participant de confession musulmane.

« Mon père est sénégalais. Je connais le soufisme du Maroc et du Sénégal », démarre-t-il. L’ésotérisme propre aux confréries soufies le séduit. Il y voit, dit-il, « le cœur de l’islam, c’est-à-dire ma foi profonde ». Abdoul prie cinq fois par jour, tout en appréciant de pratiquer le yoga et de regarder de la danse contemporaine. « Je voulais faire quelque chose avec mon corps et j’adore la spiritualité au sens large. Tourner [comme un derviche] me transporte, c’est agréable, je n’ai pas mal à la tête. »

Dans le samâ, la position des bras de la danse sacrée des derviches tourneurs : un bras vers le ciel et l’autre vers la terre, qui signifie : « Tout ce que je reçois passe par mon cœur, puis je le redonne ; je ne m’approprie rien. » Dans le samâ, la position des bras de la danse sacrée des derviches tourneurs : un bras vers le ciel et l’autre vers la terre, qui signifie : « Tout ce que je reçois passe par mon cœur, puis je le redonne ; je ne m’approprie rien. »

Ces pratiques spirituelles régulières représentent pour lui une « hygiène de vie » qui conditionne aussi ses relations avec les patients dont il s’occupe. « Tout est soin dans le soufisme : le soin de soi et celui des autres à travers une meilleure maîtrise de soi, de son ego et de son corps. »

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lien source : « Tourner, c’est de l’énergie pure » : initiation à la (déstabilisante) danse des derviches tourneurs